« Rose Bertin: la couturière révolutionnaire qui a habillé Marie-Antoinette »
Découvrez l’histoire fascinante de Rose Bertin, la talentueuse couturière française qui a su marquer son époque en créant des robes pour la reine Marie-Antoinette. Plongez dans le monde de la mode du XVIIIe siècle et apprenez-en davantage sur cette femme qui a osé innover et défier les conventions pour changer la face de la haute couture.
La passion des chiffons.
Cet hiver 1759 est épouvantable et la vie de bohème en souffre manifestement. Il y a plus d’un mois que les rues d’Abbeville gardent un tapis de neige sous lequel se cachent des plaques de glace sournoises et mortelles. Les gouttières prolongées de stalactites ressemblaient à des loques luisantes, et chaque matin, dans les quartiers misérables, on ramassait des corps gelés
La famille Bertin, bien qu’elle ne soit pas riche, parvint à vivre modestement avec un père officier de police et une mère infirmière. Ils avaient trois enfants et la famille avait suffisamment à manger. Un jour, la jeune Marie-Jeanne Bertin rencontra une vieille femme aux doigts bleus dans la rue, qui semblait être en détresse. Touchée par l’état de la femme, Marie-Jeanne lui donna généreusement un morceau du pain qu’elle portait pour sa propre famille.
Surprise, la femme regarda Marie-Jeanne et vit qu’elle était charmante : peut-être âgée de quinze ans, avec un visage rond, rose et frais de jeune fille du Nord, des cheveux blonds cendrés épais et de jolis yeux bleus. Elle était simplement vêtue, mais sa robe de laine bleue était pleine de goût et d’élégance naturelle.
La vieille femme prit le pain encore chaud et la main de Marie-Jeanne en même temps, lui disant qu’elle pouvait prédire son avenir. C’était une gratitude naturelle envers une femme de son genre, mais ce qu’elle vit l’inspira à dire autre chose que les promesses habituelles de bonheur, d’amour et d’enfants nombreux : « Toi, petite, » lui dit-elle, « non seulement tu auras beaucoup d’argent, mais tu iras à la Cour et on te portera la traîne de ta robe. » Les yeux de l’adolescente s’arrondirent. La cour ? De l’argent ? Elle ouvrit la bouche pour poser plus de questions, mais déjà la femme s’éloignait dans la rue enneigée, serrant le pain qu’elle venait de lui offrir. Néanmoins, à une certaine distance, elle se retourna : – N’oublie pas ! La cour !
Marie-Jeanne était consciente qu’il ne fallait pas accorder trop d’importance aux paroles des femmes de Bohême, qui sont souvent inspirées par le Mal. Pourtant, elle ne dormit pas cette nuit-là et eut du mal à trouver le sommeil les nuits suivantes. En tant que jeune fille sage et sensée, elle utilisa son insomnie pour réfléchir aux moyens de réaliser ce qui lui avait été promis. La première chose, bien sûr, était de gagner de l’argent de manière honnête, car elle ne voulait pas vendre ses charmes et monnayer ses faveurs.
Et puis, elle avait le goût du travail à condition que ce travail porte sur des chiffons pour lesquels elle éprouvait une véritable passion. Ainsi, le dimanche à la messe, elle examinait toujours d’un œil critique les toilettes des élégantes Abbevilloises trouvant chaque fois quelque chose à reprendre car, en général, ces femmes ne savaient pas s’habiller. Pour Marie-Jeanne, en effet, s’habiller, c’est avant tout se mettre en valeur.
Il y a aussi cette affaire judiciaire qui la tourmente. Comment être reçu sans habiter le quartier ? Or, le tribunal, c’est Versailles et Versailles, c’est près de Paris. Et convaincre ses parents. C’est avec beaucoup de timidité qu’elle leur fait part de son projet de devenir apprentie dans un magasin de mode de la capitale. Au début, l’idée semble folle et irréalisable, mais plusieurs patients de Bertin ayant suggéré que son bébé avait de l’or dans les mains, elle commence à l’envisager plus favorablement. Surtout quand l’un d’eux propose de l’envoyer, à ses frais, à la célèbre Mlle Pagelle, sous le signe du « trait galant ». Les hésitations s’envolent et Marie-Jeanne embarque dans la première patache en partance pour la capitale avec un bien maigre bagage mais un immense espoir.
Mademoiselle Pagelle était alors la créatrice à la mode prisée. Par là, on entend qu’elle habillait Versailles et Paris avec des vêtements riches, précieux, parfois somptueux, mais qui, selon la nouvelle apprentie, étaient singulièrement fantaisistes. Néanmoins (décidément, l’auteur aime ce mot… en effet), Marie-Jeanne se sentait parfaitement à l’aise dans l’élégante boutique du quartier Saint-Honoré où l’on rencontrait tout le beau monde. Elle se sentait dans son élément au milieu des satins, plumes, rubans, broderies et mille et un bibelots qui ont toujours été le régal des jolies femmes et même des autres.
Elle commence d’abord comme trotteuse, transportant à longueur de journée des cartons de livraison contenant les précieuses toilettes. Cela lui permet d’apprendre les beaux quartiers et de ne pas confondre l’Hôtel de Choiseul avec celui de Richelieu. Puis elle entre dans l’atelier. Elle est soumise à d’interminables finitions, ourlets et autres bordures. Vu la taille des robes, c’est un travail fastidieux, épuisant mais elle le fait sans se plaindre. Elle sait que c’est le métier qu’elle aime et dans lequel elle a le plus envie le moment venu. Et petit à petit, en apprenant à buller le tulle, à coudre les dentelles et à piquer des fleurs partout, elle monte en grade : Mlle Pagelle en vient à lui confier des travaux plus délicats.
Bientôt, la clientèle qu’elle livre la rencontre. Des nobles dames comme la princesse de Conti et la duchesse de Chartres, belle-fille du duc d’Orléans, s’intéressent à elle et la prennent sous leur protection. Les années passent et la petite Abbevilloise s’approprie son métier. Grâce aux deux princesses, elle peut même quitter Mlle Pagelle et s’installer à son compte dans une petite boutique de la rue Saint-Honoré, qu’elle appelle Au Grand Mogol. Entre-temps, elle trouve que son prénom Marie-Jeanne fait trop province et change pour le plus actuel Rose qui, de plus, convient à sa fraîcheur blonde. Pourtant (encore ! … langue de bois), peut-être Rose Bertin aurait-elle mis du temps à évincer son ancien patron et à gravir les échelons de la réussite si un petit événement à la fois frivole et banal, un de ces potins comme Paris les avait toujours aimés, n’était venu la mettre en pleine lumière ; le duc de Chartres, grand amateur de jolies filles, et qui n’avait pas été sans remarquer celle-ci, s’intéressa de beaucoup plus près à elle.
Bien que n’étant pas autant un séducteur que son grand-père, le Régent, le futur Philippe-Égalité ne cessait de chercher des nouveautés et n’aimait pas se heurter à des cruautés. D’ailleurs, la vertu des filles, il n’y croyait pas. Alors, croisant constamment sur son chemin cette appétissante Rose, il entreprit de lui faire la cour de manière galante qu’un prince du sang pouvait se permettre vis-à-vis d’une jolie modiste : quelques compliments négligents, un pincement de menton au détour d’un couloir, une invitation à peine voilée, un corsage que l’on caresse du bout des doigts, et enfin, une petite note glissée dans le même corsage. Souriant imperturbablement, Rose se montrait très gracieuse envers Monseigneur… mais finissait toujours par tirer son épingle du jeu et s’échappait d’un pas léger dès que le prince prétendait amener la conversation sur un plan plus intime.
Ce n’est pas que Philippe lui déplaisait, on peut même dire qu’elle aurait pu l’aimer si Rose s’était juré de réussir grâce à son seul talent. De même, elle avait décrété un jour, non sans sagesse, que si elle devait choisir entre son métier et le mariage et comme, si l’on ne veut pas être marié, il vaut mieux éviter l’amour, Rose, avec une fermeté presque romaine entreprit de chasser l’amour de sa vie ; même celui d’un prince. A ce jeu irritant, le duc se pique au jeu. Le fait d’avoir subi un échec a donné un prix à cette conquête qu’il espérait plus facile. Alors il braque sur Rose tout l’arsenal de la tentation féminine, lui offrant des parures allant des perles aux diamants… mais sans aucun résultat.
Une reine de la mode face à la Reine de France
I have just worked with the Queen ...
» Le Duc de Chartres ne peut accepter d’être vaincu. Cette petite Rose l’agace. Il lui offre des chevaux, des voitures, un manoir, une maison de campagne, enfin toute la panoplie du parfait dragueur que Rose refuse sans perdre un instant son sourire. Philippe se fâche alors car il n’est pas si fréquent que les Princes soient traités comme le premier des roturiers. Quelques bonnes âmes suggèrent même à l’entêtée qu’il est peut-être dangereux de s’opposer à un personnage aussi puissant et qu’un prince peut, en quelques mots, détruire sa clientèle naissante. Et cette fois, Rose s’inquiète. Puis, comme peu après l’indiscrétion d’un valet l’avertit qu’on songe à la faire enlever, elle commence à avoir vraiment peur. Elle n’est rien face à un si grand seigneur ! En fait, elle ne sait plus où donner de la tête quand le destin lui offre une rencontre véritablement providentielle qu’elle aura l’audace et l’esprit de saisir au vol.
Un jour de l’été 1774, alors qu’elle se trouve chez une de ses bonnes clientes, la comtesse d’Usson, pour discuter des toilettes d’apparat d’un mariage, un valet entre et annonce le duc de Chartres. Avec une exclamation de surprise, Madame d’Usson se précipite pour offrir au prince la révérence rituelle en oubliant la présence de Rose. D’abord très ennuyée, elle reprend vite ses esprits et, au lieu de sortir, va s’asseoir tranquillement près de la cheminée. Cette attitude scandalise la duchesse qui demande à la jeune fille de disparaître mais celle-ci ne fait rien et comme son client s’indigne, elle déclare calmement qu’elle ne doit aucun respect à un prince qui s’est comporté avec elle de façon odieuse : il lui a offert tout ce qui pouvait tenter une pauvre fille mais comme elle refusait ses avances, il l’a menacée : d’abord de l’empêcher de travailler puis de la kidnapper purement et simplement. Comme le prince vexé lui fait remarquer qu’elle oublie à qui elle s’adresse, Rose se lève enfin et se plonge dans une révérence irréprochable :
– Monseigneur ne doit pas oublier son rang et je me souviendrai toujours de l’extrême distance qui existe entre lui et moi-même.
Ensuite, sans se retourner, elle quitte l’hôtel d’Usson.
Naturellement, le lendemain, l’histoire fait le tour de Paris et parvient jusqu’à Versailles. Quelques jours plus tard, la nouvelle reine de France, Marie-Antoinette – Louis XV venant tout juste de mourir – fait venir Rose Bertin pour jeter un œil sur ses dernières créations.
Cette attitude, qui peut paraître étrange, s’explique fort bien quand on sait que la Reine déteste le Duc de Chartres : L’éclat de Rose lui a fait plaisir. Ce que la jeune modiste va montrer la séduit encore plus. En présence d’une jeune femme aussi belle, Rose va donner toute l’étendue de son talent en créant des robes de rêve en un temps record. Désormais, les deux femmes seront inséparables car Rose est nommée modiste de la Reine.
Presque tous les jours, à Versailles ou à Trianon, arrive la voiture de Mlle Bertin, pleine de cartons d’où elle sort de jolies choses. Rose va d’abord chez la Reine, laissant les duchesses attendre. En général, elle reste une heure avec la souveraine et ressort, l’air plus important que jamais pour rentrer à Paris claquée. Elle retrouve son Grand Mogul, devenu la première, la seule maison de Paris où les élégantes s’entassent patiemment en attendant leur tour pour parler à « Mademoiselle ». Il n’est pas rare alors d’entendre la grande modiste jeter à la porte en traversant son magasin en coup de vent :
– J’ai travaillé avec la Reine!
C’est aussi l’époque des coiffures « Quès Aco » surmontées de plumes si longues que pour les porter, les élégantes ne pouvaient que se tenir à genoux dans leur carrosse. Une folie de bibelots, une tempête de fanfreluches et d’idées saugrenues soufflent sur les têtes féminines car, bien sûr, toutes les femmes rêvent de copier la Reine et cela coûte très cher. Imperturbable, Rose continue d’accumuler sur les têtes de ses clientes des fleurs, des légumes, des bateaux, tout ce que l’actualité lui inspire de plus, bien sûr les plumes, toujours les plumes, encore plus de plumes au point que l’impératrice Marie-Thérèse, soupirant sur les folies de sa fille, l’appelle dans une lettre « sa tête à plumes ». Marie-Antoinette aime beaucoup sa modiste et lui réserve toujours le plus charmant accueil, d’où une jalousie que la vanité de Rose n’atténue en rien. Elle règne, voilà tout, et c’est ainsi que Marie-Antoinette devra s’entremettre personnellement pour que Mlle Bertin consente à travailler pour la princesse de Lamballe qu’elle n’aime pas.
Bientôt, elle habille presque toute l’Europe. Chaque saison, des poupées vêtues de ses dernières créations partent pour la Russie, le Portugal, l’Angleterre. Elle prépare le trousseau de l’Infante du Portugal, habille la duchesse de Marlborough, les princesses espagnoles, la princesse de Wurtemberg, la cour de Suède, celle de Savoie et bien d’autres. Elle finira par arracher à Mlle Pagelle sa dernière cliente : La comtesse Du Barry toujours charmante.
1789.
Tout cela représente bien sûr beaucoup d’argent, mais Rose devient moins riche qu’on pourrait le penser car ses clients ne sont pas tous de bons payeurs et la Reine elle-même traîne un peu ses factures. Néanmoins (eh bien, cela faisait longtemps…), Rose s’offre une belle propriété à Épinay, une maison dans la rue du Mail et transporte le Grand Mogul, devenu trop petit, rue de Richelieu… en avril 1789.
Hélas, le 14 juillet n’est pas loin et bientôt les belles clientes prennent le chemin de l’émigration en oubliant bien sûr de payer leurs derniers billets. Néanmoins, Rose Bertin reste fidèle à sa Reine avec un beau courage. Lorsqu’elle est prisonnière, elle continue à la fournir, mais ce n’est plus une question de luxe. Le dernier chapeau livré en mars 1793 sera celui que Marie-Antoinette portera pour monter sur l’échafaud… Aucun fournisseur, jamais, n’aura eu ce geste royal : quand le danger rôdait autour de la Reine, Rose Bertin entassait ses billets dans sa cheminée et y mettait le feu pour qu’elle ne trouve pas d’autres charges chez elle. Mais après la mort de la Reine, Rose s’éloigne définitivement. Lorsqu’elle revient en 1795 et qu’elle est rayée des listes d’émigration, elle n’a plus guère d’argent et voudrait rouvrir sa maison, mais avec la nouvelle mode gréco-romaine, Mlle Bertin a un peu l’air d’une vieille fille…
Elle le comprend, ne s’obstine pas et, quittant définitivement Paris, elle s’installe dans son domaine d’Epinay où, entourée de ses neveux et des quelques amis fidèles que son cœur généreux lui a donnés, elle cherche à dérouler sous ses yeux la grande aventure de l’Empire. Lorsqu’elle meurt le 22 septembre 1813, Leroy règne sur la mode.
Sources
Historiques :
1. Chrisman-Campbell, K. (2015). Styliste avant la lettre: Rose Bertin et les débuts de la mode française. Anatolia Antik çağ, 23-60. La styliste française Rose Bertin est considérée comme la première créatrice de mode au 18e siècle, habillant des membres de la haute société, en particulier Marie-Antoinette. Ce texte présente les débuts de la mode française et l’influence de Rose Bertin.
Littéraires :
1. Weber, C. (2006). Queen of Fashion: What Marie Antoinette Wore to the Revolution. Henry Holt and Company. Ce livre explore l’influence de Rose Bertin sur la mode de Marie-Antoinette et la manière dont leurs créations vestimentaires ont alimenté la réputation controversée de la reine.
Cinématographiques :
1. Marie Antoinette (2006) – réalisé par Sofia Coppola. Ce film historique retrace la vie de Marie-Antoinette, avec des allusions aux créations de Rose Bertin qui ont participé à son évolution stylistique.
Picturales :
1. Portrait de Rose Bertin (1785) – peint par Élisabeth Vigée Le Brun. Ce tableau représente Rose Bertin dans une pose élégante, reflétant l’importance de son rôle en tant que créatrice de mode.
2. Marie-Antoinette en robe de bal (1778) – peint par Élisabeth Vigée Le Brun. Cette peinture présente la reine portant une robe conçue par Rose Bertin, montrant ainsi son influence sur la mode de l’époque.
3. Marie-Antoinette et ses enfants (1787) – peint par Élisabeth Vigée Le Brun. Ce tableau montre Marie-Antoinette et sa famille portant des vêtements créés par Rose Bertin, témoignant de la relation étroite entre la créatrice de mode et la famille royale.
En résumé- en conclusion
En somme, Rose Bertin n’est pas seulement une pionnière de la mode, mais une véritable icône intemporelle dont l’héritage perdure. En transformant le paysage vestimentaire de son époque et en élevant le statut des modistes, elle a donné naissance à un nouveau paradigme où la mode est synonyme d’identité et d’expression personnelle. Son impact sur la couture et son rôle à la cour de France restent des références essentielles dans l’évolution de l’industrie de la mode. Alors que nous continuons à explorer les liens entre l’histoire et la mode contemporaine, l’esprit inventif de Rose Bertin continue d’inspirer créateurs et passionnés, rappelant que la mode est bien plus qu’un simple vêtement, mais une forme d’art à part entière.